Psychothérapies cognitives des Troubles de la personnalité
Troubles de la personnalité (2ème édition) (1995-2006) – J. Cottraux & I. M. Blackburn
La personnalité et ses troubles
Les troubles de la personnalité sont reconnus comme une pathologie nécessitant l’aide d’un psychothérapeute. Ainsi ils sont référencés dans le DSM 5 (axe II), bible médicale de référence en psychologie. Cependant s’ils ne font pas partis de l’axe I du DSM (représentants des troubles plus sévères) comme la schizophrénie, la dépression, les troubles bipolaires. Ainsi ils sous-tendent souvent ces troubles sévères ou en sont concomitants.
Pour définir les troubles de la personnalité, il faut définir la personnalité et ses traits. La personnalité représente l’intégration stable et individualisée d’un ensemble de comportements, d’émotions et de cognitions. Elle correspond aux modes de réactions émotives, cognitives et comportementales à l’environnement qui caractérise chaque individu.
Les traits de personnalité ne constituent des troubles de la personnalité que lorsqu’ils sont rigides, inadaptés. Lorsqu’ils sont responsables soit d’une altération significative du fonctionnement, soit d’une souffrance subjective (de l’individu ou des autres).
Au même titre que les troubles, les traits de personnalité, étant stables, peuvent être regroupés en type de personnalité. Il en découle la notion de « scénario de vie » relié à des schémas cognitifs sous-jacents et les croyances associées.
La notion de personnalité représente une construction à partir de l’étude des comportements ou de questionnaire d’autoévaluation. Cependant la méthode est critiquable car les réponses à un questionnaire peuvent être influencées par la désirabilité sociale et la tendance à l’acquiescement.

Personnalité et hérédité
Il faut aussi faire la différence entre traits (de personnalité) qui sont stables et les états qui sont temporaires (fonction de la situation ou de l’interlocuteur). Les états sont plus transitoires, plus changeants de jour en jour et plus réactifs à des situations immédiates.
Aussi on va parler de tempérament pour exprimer les aspects génétiques de la personnalité (recherche de la nouveauté, évitement de la menace, dépendance à la récompense, persistance devant l’adversité). Et de caractère pour la partie apprise de la personnalité. Le caractère correspond à la prise de conscience de l’individu (concept de soi : autodétermination, coopération avec les autres et auto transcendance).
Fig 1.2 p11

La génétique n’explique qu’une partie de la variance. L’hérédité ne représente que 40% de l’étiologie des troubles psychiatriques. Le reste étant explicable par des processus sociaux interpersonnels ou le développement psychologique individuel ou des événements qui surviennent dans la vie de chacun.
La prévalence des troubles
Dans une échelle basse, les troubles de la personnalité représentent à eux seuls 2 à 4% de la population générale. Les estimations hautes retrouvées dans d’autres études (environ 10%) sont probablement plus proches de la réalité.
D’une manière générale les problèmes psychologiques affectent plus de 50% de la population si l’on considère les addictions (alcool, drogues..), les phobies (7%), l’anxiété sociale et agoraphobie (4 à 10%), les dépressions et troubles bipolaires (8%), les TOC et TAG (2 à 5%), les états psychotiques (1%), la boulimie et l’ anorexie, les troubles somatiques, le burnout et le stress post traumatique. Ces derniers étant difficilement quantifiables. Si l’on considère les dysfonctions sexuelles et les problèmes de couple, les psychothérapeutes ont de quoi s’occuper.
Les troubles de la personnalité sont fréquemment associés entre eux. Ces troubles sont aussi présents dans plus de 50% chez les personnes effectuant une tentative de suicide.
L’OMS (De Girolamo et Reich 1993) reporte les prévalences suivantes pour les 10 troubles de la personnalité référencés dans le DSM 5:


* l’addition des % pour les troubles de la personnalité est supérieur à 10%. Souvent une personne présente plusieurs troubles de la personnalité en même temps.
La personnalité dépressive et le passif-agressif sont en liste d’attente, attendant d’être mieux référencés dans le DSM. L’ICD 10 (CIM en français – Classification Internationale des Maladies de l’OMS) de son côté ne référence pas les personnalités schizotypiques et narcissiques, mais rajoute la personnalité impulsive.
Classifications des personnalités
3 types de modèles coexistent pour décrire et classer les personnalités.
1 - le modèle dimensionnel
Modèle dimensionnel
Les modèles dimensionnels sont fondés sur la notion de continuité entre personnalité normale et pathologique. C’est une conception statistique, factorielle (psychométrique) utilisée dans le modèle OCEAN ou le Big 5. La plus utilisée aujourd’hui dans le monde scientifique.
R. Cattell considère la personnalité comme un système en relation avec l’environnement. Où les traits sont souvent déterminés par les gènes, mais sont modifiables par l’apprentissage. (Cattell est surtout connu pour son échelle d’évaluation, le 16PF).
Cette approche ne fait pas la différence entre traits et états. Par exemple, une personne qui n’a pas une personnalité anxieuse pourrait malgré tout être dans un état anxieux en réaction à un accident.
D’autre part cette approche ne permet pas de différencier les différents troubles de la personnalité. Elle est très utilisée dans l’industrie et pour l’orientation professionnelle, mais elle est très souvent transformée en approche catégorielle.
2 - le modèle catégoriel
Modèle catégoriel
La conception catégorielle est une méthode où un seuil est défini. Ceci afin de distinguer les troubles de la personnalité de la “normale”, et les troubles entre eux. C’est plus une approche clinique. Le MBTI ou l’ennéagramme en sont de bons exemples.
Bien que Jung ait noté que personne n’est complètement extraverti ou introverti, il développa une classification de huit types psychologiques en fonction de 4 fonctions (Intellect, Emotion, Sensation, Intuition).
En fait la théorie de Jung présente tous les problèmes des systèmes catégoriels très critiqués de nos jours. Les gens diffèrent sur une dimension continue, par exemple extraverti-introverti, dominant-passif, formant une distribution normale. Ainsi la plupart converge vers le centre du continuum et non vers les extrêmes. Pour une approche statistique, donc scientifique et d’expérimentation, le modèle catégorielle approche vite de ses limites.
Par contre pour une approche clinique ou de développement personnel et professionnel, le modèle est parlant et simple à comprendre. Il est opérationnel. C’est le principe du DSM.
3 - le modèle structural
Modèle structural
Le modèle structural de la personnalité, utilisée par la psychanalyse, s’intéresse au fonctionnement de la personnalité normale ou pathologique. Pour la psychanalyse freudienne, la théorie s’appuie sur l’étude des névroses. Mais la théorie psychanalytique est avant tout une théorie de la motivation inconsciente. Ainsi selon elle, les bases de la personnalité sont à rechercher à la fois dans les pulsions sexuelles et les refoulements plus ou moins réussi. Il faut cependant souligner le travail d’Anna Freud et sa description des 10 mécanismes de défenses du moi. C’est un modèle qui sera en partie reconceptualisé plus tard comme étant des stratégies cognitives d’ajustement à l’environnement (coping – Lazarus 1991).
Ajustement cognitif et les constructions personnelles
Les stratégies d’ajustement vont dépendre à la fois de l’environnement et de la personnalité. La croyance / perception du lieu de contrôle (locus of control) est soit interne (le sujet peut agir sur le monde) soit externe (le sujet est soumis aux autres et au monde : je n’y peux rien, ce n’est pas ma faute, je n’ai pas de chance..).
D’après Kelly, la conduite d’un individu est psychologiquement orientée par la façon dont il prévoit les événements. Certains parlent de « construit ». Les constructions personnelles sont des dimensions qui présentent 2 extrémités opposées et contrastées par lesquelles le sujet juge et catégorise les événements. Par exemple il juge les situations comme « bonne-mauvaise », « juste-fausse » etc. Et il s’attend à ce que les événements se reproduisent.
La théorie de Kelly peut s’étendre à la vie sociale. Le sujet interprète le système de constructions personnelles des autres. On parle d’anticipation et de prédiction. Les personnalités pathologiques proviendraient de l’inadaptation des constructions, de leur absence ou de leur rigidité.
Des construits aux schémas
2 ouvrages, ceux de Beck (1989) et Young (1990) ont proposé un modèle cognitif du fonctionnement mental des troubles de la personnalité : le modèle des schémas précoces inadaptés. C’est donc un modèle informatique qui s’oppose au modèle hydraulique de la psychanalyse.
Sans être en rupture avec le modèle de Beck, le modèle des schémas de Young est plus proche de la psychologie du moi, de certains aspects de l’analyse transactionnelle (Berne 1971) ou de la théorie de l’attachement.
Ainsi les traits de personnalité sont l’expression visible de constructions sous-jacentes ou schémas. Ces schémas sont plus généralisés, plus rigides et plus persistants dans les troubles de l’axe II que dans ceux de l’axe I.

La rigidité des schémas
L’intensité des émotions négatives qui sont associées au déclenchement du schéma précoce, a amené la personne à développer des procédés, conscients ou automatiques, pour bloquer toute connaissance du schéma.
Trois processus permettent la persistance des croyances dysfonctionnelles.
Par distorsion de l’information
cela consiste à ne percevoir et évaluer que l’information qui confirme ses croyances personnelles.
Par évitement
l’évitement comportementale est plus facilement démontrable, mais ces évitements peuvent être affectif ou cognitif (ne veut pas y penser, a oublié…). Le schéma est ainsi pas affronté et la détresse évitée.
Par compensation
la personne dépendante se protégera en faisant montre d’une autonomie exagérée, refusant l’aide ou les conseils d’autrui et ne laissant jamais qui que ce soit devenir trop proche.
Une personne présente plusieurs schémas dysfonctionnels. Young a identifié 18 schémas (faire le test des schémas de Young) regroupés en 5 domaines (voir l’article). Il se sert de l’analyse transactionnelle (états du moi) (faire le test) pour conceptualiser les schémas. Ainsi c’est plus facile à communiquer et à expliquer l’approche.
Les schémas de Young
Young a proposé aussi d’interpréter les schémas cognitifs en termes de théorie de l’attachement (J. Bowly 1969,1973). Le développement émotionnel de l’enfant part de l’attachement pour aller vers l’autonomie et l’individuation. Un attachement stable à la mère (ou autre personnage) est un besoin émotionnel de base qui précède et favorise l’indépendance. L’anxiété de séparation excessive est une conséquence des expériences familiales négatives (perte d’un parent, menaces répétées d’abandon..). A l’inverse si les personnages d’attachement prennent trop de place, il peut en résulter une difficulté à former des relations intimes avec les autres. Si la mère reconnaît le besoin de protection de l’enfant, tout en respectant aussi le besoin d’indépendance de celui-ci, l’enfant sera à même de développer un modèle de travail interne où il se reconnaîtra comme valable et compétent (faire le test – relation de couple).
Les modèles de travail interne sont à la base des croyances concernant le sentiment d’efficacité personnelle (faire le test), du concept de soi, des régulations des émotions et des stratégies comportementales en face des situations de détresse. Le fait que la société actuelle entraîne de plus en plus de ruptures du lien familial en résulte des difficultés individuelles importantes. Ainsi cela peut expliquer le nombre croissant des demandes de traitement pour les troubles de la personnalité et également les troubles anxieux et dépressifs.
Pratique des thérapies cognitives
L’évaluation scientifique de la personnalité est une méthodologie lourde et adaptée essentiellement à la recherche. Toute évaluation de la personnalité est en réalité un échantillon de son comportement.
Les patients souffrant de troubles de la personnalité sont plus difficiles à traiter que ceux présentant des syndromes de l’axe I du fait de la rigidité des troubles. Ces problèmes sont de longues durées. Souvent, ces patients ne sont guère motivés pour changer. Ils sont, du fait même de la nature de leur problématique, absolument certains que les changements sont improbables ou impossibles. Les thérapies durent souvent 1 à 2 années. Ce sont plus des thérapies à moyen terme (que brèves).
Dans tous les cas, la mise en question des schémas provoque beaucoup d’anxiété, de résistance et même d’hostilité. Il est important d’utiliser des images concrètes et des métaphores. La limite des questionnaires est que le patient peut consciemment ou inconsciemment, ne pas vouloir révéler certains problèmes. Il est possible également de considérer les rêves du patient pour rechercher des éléments qui se répètent fréquemment. Les rêves peuvent refléter des inquiétudes conscientes et réelles, sans y découvrir un sens symbolique.
Le principe est d’aider le patient à reconnaître ses schémas. La position de vie (faire le test) est un exercice simple sur la vue de soi, des autres et du monde. Pour expliquer au patient le rôle des schémas précoces inadaptés, Padesky (1990) décrit les schémas comme des préjugés que l’on a vis-à-vis de soi-même. Mais cela nécessite d’expliquer au patient les concepts de base (pensées automatiques, sentiments, changement physiologiques, événements stressants, croyances…).
« Vous connaissez des gens, un parent qui ont un préjugé avec lequel vous n’êtes pas d’accord ? Oui, Christine pense que les hommes ne sont pas fidèles !……. »
Les méthodes pour modifier les schémas
Le pentagramme (voir la figure)
La méthode du continuum est la méthode la plus efficace dans la thérapie cognitive.
Ces méthodes visent à modifier le schéma à un niveau affectif. Elles sont empruntées à la Gestalt therapy mais avec un but cognitif. Elles comprennent des jeux de rôles dans le présent et dans le passé. Cette méthode est particulièrement utile pour les patients qui n’expriment pas facilement leurs émotions (donc pas pour les borderlines).

Conclusion
Pas plus que celle de la personnalité, la définition des troubles de la personnalité n’entraîne de consensus. La définition la plus intégrative est sans doute celle du DSM IV et 5.
L’approche des troubles de la personnalité étant une approche clinique, les TCC (thérapies cognitives et comportementales) apparaissent actuellement comme la forme de psychothérapie la mieux validée scientifiquement (Inserm 2004).
En parallèle, l’approche des troubles de la personnalité en tant que catégorie de traits de personnalité et de schémas cognitifs, permet de mieux comprendre la personnalité des personnes dites « normales » ou non pathologiques.
Nous portons tous en nous-mêmes les traits qui se manifestent dans les troubles de la personnalité. Mais ils sont présents à un moindre degré ou ne se manifestent que dans certaines circonstances. Les problèmes se présentent lorsque les modes de pensée et de comportement demeurent fixes quelle que soit la situation.
Néanmoins ces traits de personnalité peuvent nous freiner dans notre développement personnel, nos relations interpersonnelles ou professionnelles. Ou tout simplement dans notre bien être. Des outils simples, comme l’analyse transactionnelle, l’ennéagramme (en savoir plus) sont facilement intégrables dans notre quotidien sans nécessiter l’intervention d’un psychothérapeute.
Dans tous les cas, ne seront sauvés que les personnes qui ont déjà, pour une bonne part, décidé d’eux-mêmes de changer. C’est le principe de l’autodétermination.
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