Les 50 moins Glorieuses ou croissance économique mondiale

Les 50 moins Glorieuses ou croissance économique mondiale

6 novembre 2023 Social 0

Analyse de la croissance économique des 50 dernières années. Tiré du livre de A. Banerjee & Esther Duflo (2019) ; économie utile pour les temps difficiles. En bleu, textes rajoutés par l’auteur de cet article.

Depuis 1970, beaucoup de choses ont changé dans notre monde actuel. Et dans une grande part, pour le meilleur. Le 13 juillet 1965, en France, les femmes peuvent exercer une profession et ouvrir un compte bancaire à leur nom sans le consentement de leur mari. A l’échelle temporelle de la Terre, c’était hier.

Notre mémoire est courte, et les nouvelles générations ne peuvent pas réaliser les progrès qui ont été effectués. Tous les bouleversements qui ont été réalisés depuis plus de 50 ans sont souvent occultés par l’infodémie et la course aux bulletins de vote qui focalise sur nos peurs. Cela faisait longtemps que je cherchais un ouvrage qui puisse exposer des chiffres, des faits avec une certaine objectivité.  C’est que le couple d’économistes Esther Duflo, franco-américaine, et son époux Abhijit, américain né à Calcutta, nobélisés en 2019 (professeurs au MIT) ont réalisé dans leur ouvrage « Economie utile pour les temps difficiles ».

Tous ces bouleversements n’ont pas tous été volontaires. Ce qui est notable sur ces changements n’est pas tant l’aspect positif ou négatif que leur rythme, à l’image de notre époque :

La chute du communisme, l’éveil et l’essor de la Chine, la diminution de 75 % de la pauvreté mondiale mais aussi l’explosion des inégalités, le sida puis son recul puis la Covid, la chute rapide de la mortalité infantile, la diffusion de l’ordinateur portable et du smartphone, les réseaux, le progrès du nationalisme autoritaire et la menace des catastrophes environnementales. Tout cela s’est passé dans les quatre dernières décennies.

Réseau Ennéagramme

Besoin de dignité

Dans cet article je vais essayer de relayer le message des auteurs, sans parti pris, mais aussi lister des faits sur ce qui se passe dans le monde et qui peuvent nous manquer pour prendre du recul. Pour Esther et Abhijit, la qualité du débat public sera meilleure quand sera reconnu notre profond besoin de dignité et de relations humaines. Quand ce besoin sera considéré non comme un supplément d’âme mais comme ce qui peut permettre de mieux se comprendre et vivre tous ensemble. Ceci suppose une redéfinition radicale des priorités économiques et des dispositifs choisis par nos sociétés pour protéger leurs membres. Personnellement tant que nationalisme et conservatisme perdureront dans une compétition entre états à l’échelle mondiale, il sera difficile de considérer la dignité humaine. Mais comme le disent les auteurs, l’objectif n’est pas de persuader mais de partager.

Le libre échange

La grande idée du libre-échange repose en partie sur le fait que la libération du commerce devrait aider les pauvres dans les pays pauvres, et les inégalités devraient ainsi se réduire. Le fait que le libre-échange fasse augmenter le PNB voudrait dire qu’il y aura plus de richesses pour tout le monde et que même les travailleurs pourront se porter mieux. Ceci pourrait être vrai mais à condition que la richesse soit redistribuée aussi aux perdants.

Certes, l’échange de biens, de personnes, d’idées et de culture a rendu le monde beaucoup plus riche. Ceux qui ont eu la chance d’être au bon endroit au bon moment, et de posséder des compétences ou les idées adéquates, se sont enrichis, quelque fois de façon fabuleuse. Pour les autres le bilan est en demi-teinte. Des emplois ont été détruits sans être remplacés. La hausse des revenus a permis d’en créer de nouveaux, mais le commerce international a aussi produit un monde plus volatile, où les emplois disparaissent du jour au lendemain pour ne réapparaître qu’à des milliers de kilomètres plus loin. Les gains et les pertes ont été distribués de façon très inégale et cette réalité commence clairement à se retourner contre nous. Elle est désormais, avec l’immigration, au cœur du débat politique.

Curieusement, les économistes et les politiques ont considérés que les travailleurs seraient capables de changer de travail ou de lieu de vie, ou les deux, et estimé que s’ils n’en étaient pas capables c’était d’une certaine manière leur faute.

  • Pourtant il semble très délicat de redistribuer les gains du commerce. A qui redistribuer, sur quels critères sans produire une usine à gaz qui absorberait les gains avant de les redistribuer ?
  • Il ne suffit pas d’ouvrir les frontières pour que les gens déménagent.

Contexte et Fakes

Nous savons que les gens sont capables d’aller très loin pour refuser de se confronter aux faits et aux données qui pourraient les contraindre à changer ce qu’ils considèrent comme leur système de valeur et leurs opinions. (D. Kahneman, (1)). Et aujourd’hui les réseaux ne font que renforcer cette tendance.

La circulation des informations sur les médias sociaux étouffe la production d’analyses et d’informations fiables. La production de fausses nouvelles ne coûte pas cher et peut rapporter économiquement beaucoup, car, sans les contraintes de la vérité, il est facile de fournir à son lectorat exactement ce qu’il a envie de lire. Et si vous ne voulez pas inventer purement et simplement, vous pouvez vous contenter de reprendre le contenu ailleurs et de les copier. C’est l’essence de cet article.

Une étude réalisée en 2017 montre que 55% de ce qui est diffusé par les sites et les médias d’information en France est presque entièrement copié-collé, mais que la source n’est indiquée que dans moins de 5% des cas (2).

Il n’est pas étonnant que le nombre de journalistes aux US se soit effondré ces dernières années, passant de près de 57 000 en 2007 à environ 33 000 en 2015 (3). Le modèle économique qui soutenait le journalisme (l’information fiable) est en train de s’effondrer.

Des algorithmes sophistiqués utilisent les techniques de prédiction de l’intelligence artificielle pour déterminer ce qui pourrait vous plaire, en s’appuyant sur qui vous êtes, sur ce que vous avez cherché auparavant sur le Web etc. L’objectif est de procurer aux gens ce qu’ils aiment pour qu’ils y consacrent plus de temps.

La fin de la croissance économique?

La croissance économique aurait pris fin le 16 octobre 1973. Les membres de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole – comment des concurrents s’entendent sur le prix du marché. Est-ce cela le libre-échange ?) ont annoncé un embargo sur le pétrole. En mars 1974, le prix de l’or noir avait quadruplé (baril à 11.65$). Il avait de nouveau presque doublé dans les années 2000. Le prix du pétrole aura été multiplié par 38 fois entre ses 2.6 $ en oct. 1973 à ses 100 $ le baril en 2023 (OPEP ; US, Russie, Arabie, Canada, Chine, Brésil, Irak …).

Il s’en est suivi en 1974, dix moroses années de stagflation (stagnation & inflation) dans les pays occidentaux. D’après les économistes, cette croissance lente était supposée prendre fin un jour. En 2023, 50 ans après, on attend toujours.

 

Le taux de croissance du PIB par tête aux US et dans le monde occidental (moyenne annuelle)
1500-1820 1820-1900 1870-1929 1930-1933 Grande Dépression 1933-1950 1950-1973 Les 30 Glorieuses 1973-2020
0.14% 1.24% 1.76 % 1.4% 1.8% 2.5% 0.8%

 

Les 30 Glorieuses

Pendant les 30 Glorieuses, la croissance économique a été permise par une hausse rapide de la productivité du travail (quantité produite par heure travaillée). Cette hausse a été compensée par la baisse du nombre d’heures travaillées dans les pays développés.

Pourquoi les travailleurs sont devenus plus productifs ? Le niveau d’instruction a beaucoup compté.

 

  En moyenne, classe atteinte pendant les études
1880 5ième
1980 Bac + 2
2020 Bac + 4 ?

 

Et ces travailleurs ont travaillés avec des machines plus efficaces et plus nombreuses. Pour Robert Gordon le progrès de l’éducation a pesé pour 14% dans la productivité du travail, quand les machines (investissement en capital) ont pesé pour 19 %. Pour le reste, l’amélioration observée ne peut être expliquée par des changements mesurables par des économistes.

On peut l’expliquer par le progrès technologique (la chasse au « gaspillage »). Les puces informatiques sont de moins en moins chères et de plus en plus rapides. Une secrétaire peut effectuer en quelques heures de travail ce qui nécessitait auparavant une petite équipe. On invente de nouveaux alliages. Ou on introduit de nouvelles variétés de blé qui poussent plus vite et consommer moins d’eau. On pratique le Lean Management (gestion sans gaspillage).

 

La qualité de vie a augmenté

La qualité de vie en 1970 est sans comparaison avec celle de 1920. En moyenne en Occident, une personne

 

    • Mangeait mieux

    • Avait moins froid l’hiver et moins chaud l’été

    • Consommait une variété plus grande de produits

    • Vivait plus longtemps

    • Et en meilleur santé (4)

    • Avec une semaine de travail plus courte

    • Avec un âge de départ à la retraite plus précoce (merci les 30 Glorieuses)

  • Et une enfance à l’écart du monde du travail (interdiction du travail des enfants)

Les 50 moins Glorieuses

Mais en 1973, tout s’est arrêté. Les universitaires et les politiques ont d’abord cru qu’il s’agissait d’une éclipse temporaire. Puis vint l’espoir de la puissance informatique qui a permis une petite embellie. Mais celle-ci s’est rapidement tarie. Les innovations d’aujourd’hui ne sont pas aussi radicales que ne l’avaient été, en leurs temps, l’électricité et le moteur à combustion. L’intelligence artificielle existe depuis 2004 et n’a rien fait pour la croissance économique.

Est-ce que la croissance économique est terminée ? Ou est-ce que tout simplement une croissance à 0.8% est une normalité ? Ou bien faut-il changer la définition de la croissance économique ? Le PIB n’accorde de valeur qu’aux choses qui peuvent avoir un prix. Par exemple le bien-être n’en fait pas partie. Quand un arbre est coupé à Nairobi, le PIB compte le travail fourni et le bois produit, mais ne déduit pas l’ombre et la beauté perdue.

Est-ce que la croissance économique va être convergente ? C’est-à-dire que les pays les plus pauvres vont rattraper les pays les plus riches ? Il a fallu 30 ans aux économistes pour remarquer que ce modèle ne correspondait pas du tout à la réalité. Nous savons aujourd’hui que nous vivons dans une économie rigide. Où rien ne se déplace rapidement, et les ressources ne vont pas facilement des US vers l’Inde. Car il ne s’agit pas seulement de capital ou d’idées mais d’écosystème.

 

Gagnant / perdant

Faut-il investir dans le capital humain ? Beaucoup d’entreprises de la Silicon Valley investissent dans des gens intelligents dans l’espoir qu’ils trouvent des idées brillantes. Seulement ce qui compte, ce n’est pas seulement le nombre de personnes intelligentes avec qui vous travaillez, mais aussi le nombre de personnes intelligentes avec qui vous vous trouvez en concurrence, ou qui sont tout simplement présentes autour de vous. C’est un écosystème qui s’installe et qui se répercute sur l’ensemble d’une région (Effets de spillover). Si une entreprise peut générer de fortes croissances, une région doit aussi considérer la pénurie de terre, de travail et de capital. D’autre part, la croissance économique au niveau d’une région est une chose, celle au niveau du pays en est une autre. Car la première peut se reproduire en cannibalisant la croissance du reste de l’économie, c’est-à-dire en captant le capital, les compétences et le travail des autres régions. S’il y a du sens pour une ville à essayer de prendre les emplois d’une autre ville, le pays dans son ensemble n’a pas grand-chose à y gagner.

D’autre part, beaucoup d’idées susceptibles d’être commercialisées sont produites par des entreprises qui conservent jalousement leurs découvertes. L’espionnage industriel, comme le droit des brevets est aujourd’hui un secteur d’activité mondial. L’innovation implique de détruire de l’ancien pour créer du neuf.

Baisser les impôts ?

L’idée que de faibles taux d’imposition puissent avoir un impact sur la croissance économique à LONG TERME en encourageant l’innovation est une idée qui plaît aux gens de droite ou aux républicains de Trump. Il n’en a pas toujours été ainsi. Entre 1936 et 1964, les taux d’imposition des tranches supérieurs dépassaient 77%. Et même 90% dans la seconde moitié de cette période aux US. Ramenés à 70% en 1965, ces taux n’ont cessé de baisser depuis pour s’établir à un peu plus de 30%.

Cependant si l’on observe les taux de croissance depuis les années 1960, il est clair que la période de faibles taux d’imposition ouverte par Reagan ne s’est pas traduite par une croissance économique plus rapide, bien au contraire. Alors que les choses soient claires. Les baisses d’impôts pour les riches ne produisent pas de croissance économique.

Cependant, les dernières décennies ont plutôt été favorables pour les populations pauvres dans le monde. Depuis 1990, le taux de mortalité infantile et le taux de mortalité maternelle ont été réduits de moitié. Entre 1980 et 2016, les revenus des 50% les plus pauvres de la population mondiale ont augmenté beaucoup plus vite que ceux du reste de la population. Le seul groupe qui ait fait mieux est le 1% supérieur, les plus riches. Ils ont capté à eux tous 27% de la croissance totale du PIB mondial. Les 50% les plus pauvres n’en ont reçu que 13 %.

Compter sur les économistes pour prévoir notre futur ?

Malheureusement, les taux de croissance économique d’un même pays fluctuent fortement d’une décennie à une autre en l’absence de raison évidente. Dans les années 1960 et 1970, le Brésil était au premier plan dans les statistiques. Mais à partir de 1980, sa croissance économique s’est arrêtée, pour repartir en 2000 et s’arrêter de nouveau en 2010. L’Inde est une des plus grandes stars de la croissance mondiale, mais il lui a fallu attendre les années 1990 pour la commencer. A l’inverse l’Indonésie et l’Egypte se sont effondrées. Quand le Bangladesh, considéré auparavant comme cas désespéré dans les années 1970, dépassait les 7% en 2017, dans le Top 20 mondial. Les économistes ne sont jamais arrivés à prévoir ces évolutions.

Croissance économique ou bien-être ?

Obliger les pauvres à se serrer la ceinture, dans l’espoir que les cadeaux des riches finiront par « ruisseler » dans toute l’économie, ne fait rien pour la croissance et moins encore pour les pauvres. Au contraire, l’explosion des inégalités dans une économie qui ne croit plus est une très mauvaise nouvelle pour la croissance économique. Car le contrecoup politique conduit à l’élection de dirigeants populistes prônant des solutions miracles qui fonctionnent rarement et provoquant des catastrophes, comme au Venezuela (25% de la population a besoin d’aide humanitaire, la criminalité la plus élevée au monde ; la chute des cours du pétrole en 2013 a entraîné le pays en crise. Crise niée par le gouvernement et l’opposition fut réprimée violement).

Même le FMI demande maintenant à ses équipes d’intégrer les inégalités dans les facteurs à prendre en considération. La qualité de vie ne se limite pas à la consommation. Les plus beaux succès de ces dernières dizaines d’années en matière de qualité de vie ont été, pour beaucoup d’entre eux, le résultat de politiques qui cherchaient directement à augmenter le bien-être des plus pauvres, même dans les pays très pauvres et qui le sont restés (5). Le paludisme est à cet égard exemplaire. A son plus haut en 2004, il faisait 1.8 million de morts. Puis un tournant spectaculaire est intervenu. Entre 2005 et 2016, le nombre de morts a diminué de 75% (6). La distribution gratuite et massive de moustiquaires était le moyen le plus efficace pour lutter contre le paludisme (7).

 

La chasse au gaspi

Personne ne sait si la croissance économique va repartir dans les pays riches ni ce qu’il faudrait entreprendre pour la favoriser. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a des choses à faire en attendant. Les pays pauvres et riches pourraient commencer par supprimer les sources les plus évidentes de gaspillage de leurs économies respectives. Si cela ne créait peut-être pas les conditions d’une croissance durablement plus élevée, cela pourrait améliorer fortement et rapidement le bien-être des citoyens.

Croissance économique et environnement

Selon une estimation moyenne, quand votre revenu croît de 10%, vos émissions de CO2 augmentent de 9% (8). Au total nous arrivons à la règle des 10-50. 10% de la population mondiale (les plus gros pollueurs) contribuent à la moitié environ des émissions mondiales de CO2. Et les 50% qui polluent le moins n’y contribuent qu’à un peu plus de 10%.

Bien entendu, à notre époque il nous faut trouver un responsable ; les riches ! Le monde riche a donc une responsabilité accablante dans le changement climatique est la formule qui permet de stigmatiser « l’autre » et d’imaginer les solutions à nos problèmes. C’est ce que font les auteurs de ce livre. Mais je ne pense pas que dans un monde d’inclusion cela soit la solution. Si ce n’est qu’augmenter le populisme et la violence.

Mais les économistes doivent porter leur juste part de responsabilité. Nous tombons dans le piège de toujours essayer de faire grossir le gâteau le plus possible. C’est la course à la croissance économique. Mais les données sont claires. Les inégalités ont spectaculairement augmenté dans le monde depuis quelques années. Et les conséquences en sont catastrophiques dans le monde entier.

Impôts sur la fortune et évasion fiscale

De plus en plus d’économistes craignent que les nouvelles technologies (robots, IA …) ne détruisent plus d’emplois qu’ils n’en créeront. C’est ce qui est arrivé aux artisans qualifiés qui filaient et tissaient à l’aube de la révolution industrielle. Pourtant les emplois n’ont pas disparu et les salaires et les conditions de vie sont aujourd’hui très supérieurs à ce qu’ils étaient à leur époque.

En même temps, il est tentant pour les entreprises d’automatiser même quand les robots sont moins productifs que les humains. Il n’y a pas de taxe sur la masse salariale pour les robots. Et ceux-ci ne se mettent pas en grève. Pourtant quand un travailleur est licencié, l’entreprise en a fini avec lui. Mais la société dans son ensemble devient responsable de son bien-être.  Ainsi l’entreprise n’a pas à payer ni sa réorientation professionnelle ni ses aides sociales ni le coût social de sa colère, qui restent à la charge de la société.

C’est pourquoi l’idée d’un revenu de base universel est si en vogue aujourd’hui dans la Silicon Valley. Par exemple, en France, la suppression de l’impôt sur la fortune a été la première décision du président Emmanuel Macron en 2017. Puis la surtaxe sur l’essence a servi de déclencheur à la contestation des gilets jaunes. Avec un coût pour la France. En parallèle, la suppression de l’impôt sur la fortune a permis de lutter contre l’évasion fiscale qui coûte aussi à la France. Mais les pays frontaliers ont ajusté à leur tour leurs règles. Comment trouver une bonne solution ?

Des solutions existent

L’un des fils conducteurs de ce livre est qu’il est déraisonnable d’attendre des marchés des résultats toujours justes, acceptables ou même efficaces. Dans une économie rigide, l’intervention de l’état est nécessaire pour aider les gens soit à s’installer ailleurs quand cela présente un intérêt pour eux, soit de rester là où ils vivent en leur permettant de ne renoncer ni à leur mode de vie ni à leur dignité.

Les démocraties lèvent de l’argent par l’impôt. Aux US, en 2017, les recettes fiscales totales représentent 27 % du PIB. C’est 7 % de moins que la moyenne des 36 pays de l’OCDE, au même niveau que la Corée et un peu plus que le Mexique, l’Irlande, la Turquie et le Chili. Par exemple au Danemark et en France les recettes fiscales représentent 46%, en Belgique 45%.

Pourtant une augmentation de l’impôt sur le revenu, au-delà de son impopularité, ne rapporterait que très peu dans les recettes fiscales. Par contre un impôt sur la fortune ou le patrimoine rapporterait davantage, à condition que des mesures soient prises pour limiter l’évasion fiscale.

 

Simples sur le papier

Un certain nombre de mesures « simples » (techniquement) suffiraient à limiter tant l’évasion que l’évitement fiscal. (a) La création d’un registre financier mondial, qui conserverait une trace de la richesse où qu’elle se trouve (ce qui permettrait de la taxer où qu’elle soit placée), (b) de réformer le système de fiscalité des entreprises pour que les profits des multinationales soient imposés là où elles réalisent leur chiffre d’affaires et (c) de réglementer davantage les banques et les cabinets d’avocats qui aident les gens à ne pas payer d’impôts grâce aux paradis fiscaux (9).

Encore faut-il une volonté politique pour les faire appliquer. Ces 3 mesures peuvent être particulièrement délicates car elles supposent une coopération internationale. Faute de cela les pays sont tentés de se lancer dans une course au moins-disant fiscal, dans l’espoir d’attirer des compétences et des capitaux. C’est le cas de la Belgique, des Pays-Bas, du Portugal, de l’Espagne ….

L’estime de soi

L’estime de soi est liée à la position qu’une personne a dans un groupe auquel il pense appartenir (quartier, collègues, pays ..). Par exemple en Norvège les données fiscales étaient consultables publiquement depuis longtemps sous forme de registres à consulter à la bibliothèque. Or le jour où la Norvège a mis ses registres en ligne, les personnes pauvres s’en sont trouvées plus malheureuses et les riches plus heureuses. Savoir à quel barreau on est placé sur l’échelle sociale semble avoir un impact sur le bien-être.

Les personnes trop optimistes sur leur mobilité sociale (meilleur travail, plus riche …), et qui se heurtent à la réalité, ont besoin de fuir cette douloureuse vérité. Et elles vont osciller entre penser qu’elles sont incapables de saisir les opportunités que la société leur offre et accuser des tiers de leur prendre leurs emplois. Ce chemin est semé de colère et de désespoir.

 

L’espérance de vie recule pour certains

Par exemple ce désespoir s’aggrave aux US. L’espérance de vie a reculé de 2015 à 2017. Cette triste tendance est spécifique aux blancs et en particulier à ceux qui ne possèdent pas de diplôme universitaire. C’est similaire au Royaume uni, l’Australie et le Canada, pays au modèle social proche des US. Ce n’est pas le cas dans les autres pays riches, où la mortalité continue de diminuer. Cette augmentation de la mortalité aux US est liée aux décès liés à l’alcool, la drogue, les suicides. Depuis 1990, les blancs d’âge moyen ayant peu d’éducation sont de plus en plus nombreux à faire état de symptômes dépressifs (10).

Si nous ne réussissons pas collectivement (sans stigmatiser des groupes) à agir dès aujourd’hui pour concevoir des politiques qui aident les gens à survivre et à retrouver leur dignité dans un monde d’inégalités très fortes et visibles, la confiance des citoyens dans la capacité de la société à résoudre ce problème sera durablement affaiblie. Il y a urgence et nécessité à concevoir et à financer, comme il se doit, une politique sociale efficace.

Pour revenir au revenu de base universel

La Finlande a tenté de mettre en place un revenu de base universel en 2017 et 2018. 2 000 travailleurs ont été choisis aléatoirement pour recevoir à la place de tous les programmes d’aide (logement, allocation chômage ..) un revenu de base inconditionnel. Les autres travailleurs ont servi de groupe témoin. Au final, les 2 groupes percevaient le même revenu. Les premiers résultats montrent que les bénéficiaires du revenu de base sont plus heureux.

Les détracteurs de ce revenu considèrent que c’est un moyen pour s’acheter la paix, mais que ces individus percevant ce revenu ne retrouveront pas de travail. Pourtant interrogés, la plupart des gens estiment qu’ils n’arrêteraient pas de travailler. Le travail étant une source d’un sentiment d’avoir un but, une appartenance sociale et une dignité.

Le modèle Danois de « Flexisécurité » permet une flexibilité totale du marché du travail avec 2 implications ;

  • Les travailleurs peuvent être licenciés assez facilement (Comme aux US et au contraire de la France)
  • Mais ils touchent des indemnités de chômage et l’état les aide à se former (un peu comme en France et au contraire des US)

Les employeurs peuvent s’adapter aux changements de l’environnement économique et la perte d’emploi n’est pas une tragédie. Il faut laisser faire le marché faire son œuvre mais aider les gens à qui revient la plus petite part de gâteau.

 

L’exemple du Danemark

Mais le Danemark investit 2% de son PIB à des politiques actives du marché du travail (formation, aide à la recherche ..) et 3 travailleurs sur 4 trouvent un nouvel emploi en l’espace d’un an. En 2008, ils ont su résister à la crise et la récession qui a suivi sans connaître une forte hausse du chômage.

L’Allemagne consacre 1.45 % de son PIB (2.45% pendant la crise). La France, en revanche, malgré les promesses répétées des gouvernements de faire davantage, a bloqué son aide à 1% depuis 10 ans. Aux Etats Unis, la part est de 0.11%.

Néanmoins la flexisécurité ne répond pas à tout. Car la perte d’un emploi est bien plus qu’une perte de revenu. Les plus âgés, en particulier, ont plus à perdre et peu à gagner à commencer une nouvelle carrière ou s’installer dans un nouvel endroit.

Conclusions

La mauvaise science économique justifie encore les cadeaux faits aux riches et la réduction des programmes d’aide sociale. Elle continue de défendre l’idée que l’état est impuissant et corrompu et que les pauvres sont paresseux. Nous sommes dans un mélange d’explosion des inégalités et d’inertie rageuse.

Les idées sont puissantes. Les idées sont le moteur du changement. L’ignorance, l’idéologie, l’inertie se mêlent pour nous donner des réponses qui ont l’air plausibles, promettent beaucoup et ne pourront que nous trahir. De plus en plus les débats tournent à la caricature, et l’analyse politique cède le pas aux remèdes de charlatan.

Cet appel à l’action ne s’adresse pas aux économistes de métier. Il s’adresse à toutes les personnes qui aspirent à un monde meilleur, à un monde plus humain. L’économie a trop d’importance pour être laissée aux seuls économistes.

 

5 Messages

La prise de conscience des inégalités (a – registre mondial de la fortune), les rêves irréalistes d’avenir facile et riche (b – éducation et lutte contre l’infodémie), la course effrénée à la croissance économique (c – éducation et revenu universel) dans un monde non régulé (d – One World) où la compétition des pays (OPEP, Occidentaux et non occidentaux, riches et pauvres) ne laissent que peu de place au respect, à la dignité et à l’environnement. Les scènes de violences dans la rue (émeutes fin juin 2023 en France …) trouvent leurs origines dans l’exemple des politiciens (e – éducation non violente & source fiable d’info) (élus par nos votes) ; débats violents à l’assemblée nationale pour la réforme des retraites en France (2023). Les exemples sont de plus en plus nombreux

 

    • Assaut du palais des congrès national par les militants pro-Bolsonaro lors des élections (janv. 2023),

    • Assaut du capitole par les partisans de D. Trump lors des élections (2021)

    • Invasion de l’Ukraine (2014 et 2022) par V. Poutine

  • et dernièrement le meurtre de Fernando Villavicencio, candidat aux élections en Equateur (2023).

Sources :

  • Daniel Kahneman, Jack L. Knetsch et Richard H. Thaler, “Experimental tests of the endowment effect and the Coase theorem, Journal of political economy, vol.98, n°6, 1990, p.1325-1348
  • Julia Cage, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, « the production of information in an online world: is copy right?”, net institute working paper, 2017
  • “2015 census”, American society of news editors
  • Robert J. Gordon, the rise and fall of American growth, op. cit.
  • Mortality rate, under-5 (per 1000 live births, op. cit.
  • Taz Hussein & Al., How field catalyst galvanizes social change, Socialinnovationexchange.org, 2018
  • S. Bhatt & al., the effect on malaria control on plasmodium falciparum in Africa between 2000 and 2015, Nature, vol. 526, 2015, p.207-211
  • Lucas Chancel et Thomas Piketty, Carbon and inequality: from Tokyo to Paris, rapport, école d’économie de Paris, 2015
  • Gabriel Zucman, sanctions for offshore tax havens, transparency at home, the new York times, 7 Avril 2016; “the desperate inequality behind global tax dodging”, the guardian, 8 Nov. 2017
  • Anne Case et Angus Deaton, « rising morbidity and mortality in midlife among white non-Hispanic Americans in the 21st century”, op. cit.; “Mortality and morbidity in the 21st century”, Brookings papers on economic activity, 2017
 

Laisser un commentaire